(Pour le début de l’histoire, voir ici)
Le lendemain, au petit-déjeuner, j’étais déjà installée à la table de l’équipage quand il descendit. Il salua tout le monde de loin, et s’assit seul à une autre table. J’étais vexée comme un pou, car il restait, justement, une place libre à côté de moi. J’étais prête à lâcher l’affaire, mais tout de même, il ne m’avait parlé d’aucune autre femme, et je ne comprenais pas, dans ma parfaite prétention, pourquoi il ne s’intéressait pas à moi.
Dans l’avion du retour, alors que je passai à nouveau pas mal de temps au cockpit, je crus entrevoir une réponse à ma question : il était pédé. Il portait un parfum, M7, d’Yves Saint Laurent (aujourd’hui disparu), dont il m’avait vanté les mérites, et qu’il m’avait présenté comme la fragrance préférée des homosexuels (je pris ça pour une vérité, mais je compris plus tard que Chouchou parlait souvent au deuxième degré, et qu’il fallait se méfier de l’air sérieux avec lequel il pouvait débiter de pharaoniques bêtises). Cette supposition était tout à fait plausible : il semblait tellement dégouté de la gente féminine, que son ex-épouse représentait à ses yeux, qu’il s’était, naturellement, tourné vers les hommes. De fait, et très paradoxalement, il paraissait, sous ses airs de gentleman, éminemment misogyne.
A la fin du vol, je n’étais toujours pas décidée à disparaître ainsi sans laisser de trace. Je me rendis une dernière fois au poste de pilotage. J’avais préparé un petit mot, gentil, dans lequel je lui disais qu’il ne m’avait pas parlé de tout, que je ne connaissais pas le prénom de ses enfants (que n’avais-je imaginé, aveuglée que j’étais par ce drôle de coup de foudre ?!), ni de ses chevaux (il en avait à la maison), bref, quelque chose dont j’étais assez fière, qui ne faisait pas rentre-dedans, mais qui lui permettrait de lui montrer, concrètement, puisque visiblement il n’était pas très doué pour lire entre les lignes, que je déplorais d’en rester là. J’étais postée derrière lui, assis aux commandes, et je tentai, dans un ultime élan de témérité, de savoir s’il passait à la D.O (petit nom donné au QG logistique des navigants Air France) ou s’il allait directement prendre son vol pour Toulouse (c’est là qu’il habitait). Il me dit qu’il s’y arrêtait, et me proposa d’y boire un café. Ouf ! Rétrospectivement, je sais que Chouchou ne passe JAMAIS à la D.O à l’issue de ses vols. Je situe donc à ce point de l’histoire le moment où il a peut-être commencé à me regarder, disons, différemment.
Mais il faut remettre les choses dans leur contexte : j’avais 23 ans, lui 42. Et, clairement, bien qu’il ne cherchât pas à l’époque coûte que coûte une nouvelle compagne, je ne rentrais en tout état de cause pas dans ses critères. Comme bon nombre de quarantenaires redevenus célibataires mais happés par la charge des enfants, il n’avait d’autre choix (puisqu’il mettait, suite à son expérience, un point d’honneur à ne plus jamais partager son quotidien avec une hôtesse de l’air – à bien y regarder, plus que les femmes en général, c’étaient les hôtesses en particulier qui se voyaient confinées au statut de bêtes et méchantes manipulatrices) que de chercher à rencontrer des partenaires sur Meetic. Or, j’étais, de facto, exclue d’une possible rencontre avec lui, ne rentrant pas, évidemment, dans ses critères d’âge. C’aurait été indécent d’envisager une liaison avec une gamine de 20 ans sa cadette (Remarquez, de mon côté, j’avais aussi été inscrite sur Meetic, et avais fixé la limite d’âge à 15 ans de plus). Donc, forcément, s’il commençait à ressentir l’ébauche de quelque chose ressemblant à une espèce de sentiment légèrement amoureux, il lui était difficile, à ce stade, si ce n’est de l’accepter, du moins de l’identifier.
Autour du café qu’il m’offrit, nous continuâmes à parler de ses enfants, et il finit par m’inviter à venir passer un week-end chez lui, dans sa campagne. Mais il me précisa : ‘Juste pour monter à cheval, hein ?’ J’en concluais, désormais, qu’il avait ENFIN compris autour de quel pot je tournais, mais qu’il me signifiait clairement qu’il ne jouait pas dans la combine. Bon, j’acquiesçai (Evidemment, que t’es-tu imaginé ??), un peu déçue mais tout de même victorieuse d’avoir pu obtenir, sans même le lui demander, son numéro de portable. J’aurais tout le loisir de réfléchir à tête reposée et après quelques heures de sommeil, à ce que j’en ferai.
Et puis il me raccompagna au RER. Et là, il se passa un truc un peu comme dans les films : nous allions nous dire au revoir, il se pencha, et tenta de m’embrasser pour de vrai. Genre, le truc que j’attendais depuis 48 heures. Sauf que je tournai la tête, et le bisou claqua sur ma joue droite. J’étais totalement perdue, désormais qu’il montrait des velléités d’aller dans mon sens, je paniquais. Têtu comme il l’est, il ne se désarma pas, et tenta une deuxième fois. Et moi, en véritable bourreau des cœurs (ou, plus vraisemblablement, juste incapable de savoir ce que je voulais), je tournai à nouveau la tête vers la gauche.
Un peu troublée, je souris, et filai en courant vers le quai.
A peine montée dans le RER, je lui envoyai un sms. C’était parti !
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